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La N-VA est-elle un parti d’extrême droite ?

dimanche 1er mars 2015, par Collectif Le Ressort

Avec le public, Jérôme Jamin, Chargé de cours au Département de Science politique de la Faculté de Droit et Guido Fonteyne, ancien journaliste au Standaard

Julien Dohet, pour introduire le débat, dresse le cadre en évoquant 3 éléments. Il rappelle cette image de Bart De Wever montant triomphalement les marches de l’hôtel de ville d’Anvers lors des élections communales de 2012. Il souligne que la N-VA n’exprime pas un racisme semblable à celui du Vlaams Belang. Enfin, il indique que la N-VA a une vision du rôle des syndicats qui rappelle celle des années 1930.

La parole est ensuite d’emblée donnée à l’assemblée.Le débat démarre par la question des transferts des membres du VB à la N-VA. Et de leur influence potentielle dans le parti. Un autre participant estime que certains d’entre eux peuvent avoir changé réellement d’orientation et avoir quitté l’extrême droite pour aller vers un parti séparatiste de droite dure.

Guido Fonteyn fait remarquer que ce n’est pas parce que des transfuges arrivent à la N-VA que ce parti va devenir raciste. On peut même imaginer que ces transfuges retournent au VB, déçus. Par ailleurs, il estime que la question qui anime le débat n’est pas simple et appelle une réponse nuancée. Tout d’abord, la N-VA est anti-belge. La Flandre n’a jamais eu historiquement le sentiment d’être belge. Ensuite, les électeurs de la N-VA viennent de différents horizons : il s’agit pour 1/3 d’anciens électeurs du VB, mais aussi de flamingants "classiques" ; ce n’est donc pas un public uniforme. Pour Guido Fonteyn, la N-VA est aussi un parti dictatorial : Bart De Wever dirige tout. Il est le dictateur d’une classe de nouveaux riches blancs. Un dictateur en costume chic. Enfin, le programme socio-économique de la N-VA est d’extrême droite.

Un participant formule plusieurs remarques : un parti n’est pas réductible à ses électeurs et le racisme de la N-VA ne vise pas des Africains ou d’autres minorités visibles, mais les Wallons. De plus, il propose la fin de la Belgique et donc, politiquement, en ces temps de crises et de conflits sociaux, la N-VA va radicaliser l’Etat et s’opposer à la concertation pour démontrer que la Belgique est ingérable.

Jérôme Jamin indique que, suite à ses diverses rencontres avec des membres de la N-VA, il a ressenti que ceux-ci sont touchés par l’ivresse de la victoire. Ils se sentent portés par l’histoire. Il rappelle ensuite que l’extrême droite se définit notamment par sa violence de rue, ainsi que par son oligarchie et sa définition du nationalisme (qui cible des ennemis intérieurs et des ennemis extérieurs). Dans le cas de la N-VA, on peut plutôt parler d’un parti de droite, de droite dure, mais d’une droite décomplexée qui s’assume. Selon lui, c’est, en quelque sorte, « l’UMP flamande ». Et les francophones, habitués à un Mouvement réformateur qui ne se présente pas sous des oripeaux durs, sont un tant soit peu déboussolés et enclins à utiliser le terme d’extrême droite pour caractériser la N-VA.

Peut-on comparer les transfuges du Bloc identitaire français au FN et ceux du VB à la N-VA ?, demande une personne dans la salle.

Jérôme Jamin réplique que la réussite électorale attire. Mais il faut toujours regarder qui parle et au nom de qui. Qui a le droit de parole au nom de la N-VA ?

Une autre question fuse : a-t-on compris pourquoi la N-VA a pu réussir aussi vite ? Nous serions dépassés par la stratégie de la N-VA et, ne sachant pas comment la contrer, nous la taxerions alors de parti d’extrême droite.

Guido Fonteyn soutient que la N-VA est raciste envers les Wallons, ce qui est, à ses yeux, différent d’être raciste envers l’immigration. Ici, il est question de la fin de la Belgique – du séparatisme. Le Wallon sert alors de bouc-émissaire. Mais pour lui, la N-VA semble, d’une part, gênée par son électorat trop grand et elle n’a, d’autre part, pas le personnel nécessaire pour gérer le pays. Ce parti fait appel au privé pour avoir des chefs de cabinet.
Partant, pour Guido Fonteyn, le succès électoral de la N-VA ne se répétera plus/pas vu l’attrait que peut exercer le VB et vu son programme socio-économique de droite (même les dockers d’Anvers qui ont voté N-VA vont se rendre compte de ce qui les attend). Ensuite, les médias sont trop doux avec la N-VA. Pour Guido Fonteyn, La Meuse est un journal d’extrême droite. Il n’y a pas/plus de journal de gauche, ni en Flandre ni en Wallonie. Il souligne, comme il le fera à plusieurs reprises, que, pour lutter contre la N-VA, il faut augmenter les contacts entre Wallons et Flamands, notamment au niveau des syndicats, et combattre le programme socio-économique de ce parti.

La salle revient sur la question du débat et une personne affirme que, par réflexe, on attaque la N-VA en la taxant d’extrême droite plutôt que de l’attaquer sur son programme socio-économique. L’explication pourrait en être que les partis sociaux-démocrates actuellement dans l’opposition n’ont plus guère un programme socio-économique de gauche. Il faut dès lors développer les liens avec des acteurs comme Hart boven Hard.

Pour un autre intervenant, les frontières entre la droite et l’extrême droite sont floues. Par exemple, le FN est un parti de droite souverainiste. La N-VA a la capacité de mettre ensemble des gens issus d’idéologies différentes : CD&V, OpenVLD, VB...

Autre interrogation : n’y a-t-il pas une contradiction entre le libéralisme de la N-VA et son protectionnisme vis-à-vis de l’Union européenne ?

Un participant réplique que les frontières sont floues, mais qu’il y a des marqueurs. Ainsi, pour l’extrême droite, les hommes sont fondamentalement inégaux. Il faut aller chercher les passages de frontières dans les textes de la N-VA et les discours de ses dirigeants, pas auprès de ses électeurs. Certaines positions reprises dans le programme de la N-VA constituent de véritables appels du pied à l’extrême droite.

Une autre personne s’interroge sur les non-dits des messages de Bart De Wever, qui sont troublants, malsains : il dit ne pas se sentir à l’aise avec ce discours raciste qui n’en a pas le nom.

Quelqu’un aborde les grèves et ce qu’en dit Bart De Wever ("Les grévistes pompent notre économie").

Guido Fonteyn abonde en ce sens : même si Bart De Wever ne parle pas des Arabes, il fait du racisme. C’est clair. Or les villes sont maintenant multiculturelles : à Bruxelles, 50% de la population n’est pas d’origine belge, affirme-t-il. Il souligne qu’il faut se méfier des crises qui se profilent, comme dans le Limbourg ou en Campine, où il se passe la même chose que dans le Borinage il y a 50 ans : licenciements à la pelle, fermetures d’usine... Pour Guido Fonteyn, il y a en effet un autre acteur à surveiller : les grands holdings. Il répète qu’il faut créer des liens de plus en plus étroits avec les syndicats et les autres associations de Flandre et, pour lui, la N-VA n’a pas de position sur l’Union européenne.

Aux yeux de Jérôme Jamin, le racisme de la N-VA vient de son idéal du mérite : si tu fais des efforts, tu t’en sortiras. Ce n’est pas vraiment du racisme, puisqu’on peut sortir de sa condition par l’effort. Pour lui, on peut comparer la N-VA au Tea Party américain. Le peuple flamand producteur est écrasé par des parasites d’en haut et des parasites d’en bas qui se tiennent mutuellement : en haut, l’État PS ; en bas, les profiteurs du système, qui se trouvent également constituer l’électorat du PS. Pour revenir sur la distinction entre droite et extrême droite, il explique que ce qu’a fait Maggie de Block, c’est ce que proposait Jean-Marie Le Pen. Par ailleurs, l’extrême droite a aussi dû lisser son langage, le coder pour ne pas se faire accuser de racisme. La N-VA a deux stratégies au gouvernement : tout en acceptant de mettre l’institutionnel de côté pour une certaine période au profit du socio-économique, elle peut avoir intérêt à laisser faire quelques provocations au sein de la N-VA (sur les étrangers ou la collaboration) et, ce faisant, inciter le MR, sous pression, à dire stop à la N-VA. Cela démontre que même sans le PS, celui-ci pèse sur le MR. Et de cette façon, l’institutionnel revient sur la table à cause de l’État-PS qui empêche de travailler avec le MR.

Si Bart De Wever est un leader qui décide de tout, c’est aussi le cas d’Elio Di Rupo, réplique un participant qui souligne également que la réaction de l’opposition est pauvre car les partis traditionnels n’ont pas de divergences sur le fond avec le programme socio-économique du gouvernement. Ce même participant formule la question oratoire suivante : parler de l’extrême droite de la N-VA, n’est-ce pas discuter du sexe des Anges ? Le problème est ailleurs, et notamment dans la mauvaise redistribution des richesses.

Un autre participant mentionne que le FN français forme des cadres. La N-VA fait-elle de même ?
Pour Guido Fonteyn, la N-VA n’aura pas de nouvelle victoire électorale car son électorat réfléchit. Le CD&V a fait un cartel avec la N-VA, mais maintenant, c’est terminé. D’ailleurs, la solution viendra du CD&V. Il y aura une crise du gouvernement et il ne faut pas la transformer en crise communautaire. La N-VA est radicale, elle fait des coupes dans les budgets culturels.

La réplique de Jérôme Jamin fuse : les coupes culturelles ne sont pas une marque de l’extrême droite !

Une autre personne souligne que la N-VA et le CD&V ne sont pas d’accord sur le tax shift (le CD&V a dans son programme la taxation des plus-values, il s’agit de faire glisser une partie du poids de la fiscalité du travail sur d’autres postes : par exemple une fiscalité sur le patrimoine, ou encore sur les revenus du capital ou les revenus immobiliers [1]).

Pour une autre personne, la N-VA ne représente pas l’ensemble de la Flandre. C’est le fer de lance de la droite en Flandre. Même s’il y a des dissensions avec l’Open VLD, c’est uniquement au moment des élections.

Mais un autre intervenant fait observer qu’en Flandre, il y a une cohérence entre tous les partis sur le nationalisme et sur le socio-économique qui vient de la présence des anciens de la Volksunie dans tous ces partis.
Enfin, un dernier intervenant pense qu’il faut définir une stratégie de confrontation avec la N-VA et s’interroge : faut-il faire tomber le gouvernement et la N-VA ou bien la mouiller au pouvoir et donc la rendre moins dangereuse pour le système ?

Pour Guido Fonteyn, historiquement, la Wallonie est socialiste et la Flandre est libérale. Il ne faut pas laisser faire la N-VA, il faut la combattre, être carrément contre elle. Lutter sur tous les fronts et sous toutes les formes.