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De la réindustrialisation à la relocalisation démocratique
vendredi 30 mars 2012, par , , , , , ,
Le rapport Syndex sur la situation de la sidérurgie liégeoise rendu public en ce début de mois de mars confirme la justesse du discours tenu par les syndicats depuis l’annonce par ArcelorMittal de la fermeture de la phase à chaud. Mais plus largement, ce rapport pose la question de l’avenir d’une industrie européenne.
Cette question de la ré-industrialisation de l’Europe semble devenir progressivement une question d’actualité. C’est ainsi que, au même moment, J.-L. Reginster, président de l’Union des classes moyennes de Bruxelles, évoque le « difficile retour de l’industrie » (1) et que Trends Tendances consacre trois pages d’interview à Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca, sur le thème « Il faut d’urgence réindustrialiser la Wallonie ! » (2). Même le patronat semble donc se rendre compte que la délocalisation à outrance n’est pas une solution viable à long terme, même si les objectifs qu’il poursuit avec cette réflexion sont loin d’être dans l’intérêt de la population. Et qu’une économie ne peut fonctionner uniquement avec une activité de services.
Le débat étant lancé, doit-il se limiter à la question du maintien d’une activité de production de bien matériel en Europe ? Pour prendre le cas de la sidérurgie, peut-on se passer d’acier en Europe ? Cette question peut d’ailleurs s’étudier selon plusieurs angles d’approche. Celle de l’emploi salarié bien entendu, mais aussi celle de l’écologie.
Car si les coûts pour les entreprises sont inférieurs hors Europe et Amérique du Nord, c’est non seulement dû au niveau des salaires de ces pays, mais aussi au fait que l’impact écologique, des conditions de fabrication et de transport entre les lieux de production et nos pays de consommation, n’est absolument pas répercuté à son juste coût. Clairement, le fonctionnement actuel du capitalisme n’est tenable que parce qu’il détruit la planète et ceux qui l’habitent.
La relocalisation ne manque donc pas d’arguments, mais nous aimerions aller plus loin. Tout d’abord, une relocalisation en Europe doit-elle se faire à l’échelle nationale ? Ainsi, si on prend la sidérurgie, ne pourrait-on pas imaginer une mise sous statut public non pas régionale, mais eurégionale, qui regrouperait dans une structure cohérente trois sites similaires et complémentaires : Liège, Florange et la Sarre ? Notons d’ailleurs que ce dernier site n’est plus dans un groupe multinational mais est sous contrôle d’une fondation impliquant le Land de la Sarre (1 million d’habitants seulement) et les travailleurs, à travers leur organisation syndicale. Aujourd’hui, les frontières nationales ne sont donc pas toujours le cadre géographique le plus pertinent et une réflexion sur les grandes régions, l’Eurégio, les bassins d’activités économiques, etc. apparaît nécessaire.
Mais si l’on parle de relocalisation, doit-on se limiter à la question géographique ? N’est-ce pas aussi l’occasion de remettre en débat la question de la localisation de la décision économique ? Y compris au sein de l’entreprise. L’histoire nous démontre que si les patrons ne peuvent se passer de travailleurs, ceux-ci peuvent par contre se passer des patrons. Des expériences autogestionnaires ou coopératives ont démontré la viabilité de ce type de projet.
L’exemple argentin est ici intéressant. Car la sortie de la crise économique de ce pays s’est non seulement réalisée par un refus de payer une dette jugée illégitime, mais aussi par la réappropriation par les travailleurs de leurs outils de travail et par la multiplication de coopératives ouvrières qui arrivent, puisqu’elles n’ont plus à rétribuer les actionnaires dans des proportions à deux chiffres, à se développer et à mieux payer les travailleurs, tout en pratiquant des prix plus concurrentiels. L’exemple est intéressant également parce qu’il montre qu’une telle expérience ne peut fonctionner que si elle est généralisée et ne se limite pas à un ilot isolé qui, à l’exemple de Lip (3), ne peut tenir bien longtemps.
Le débat de la relocalisation de la décision et de la production peut aussi se poser au niveau démocratique. Ainsi pourrait-on imaginer des services publics à échelle plus humaine impliquant les usagers du service. Prenons un exemple : entre la production électrique nucléaire aux mains de multinationales et les panneaux solaires individuels accessibles uniquement à ceux qui ont les moyens d’investir, ne devrait-on pas réfléchir à la création de coopératives publiques de quartier ? Ici aussi, on relocalise la production, on relocalise la distribution et on relocalise la décision politique tout en la rendant nettement plus démocratique.
Autre exemple, celui du textile : relocaliser la production sera économiquement et écologiquement rentable le jour ou le coût global (donc aussi dans sa composante environnementale) du transport sera réellement pris en compte. Et une réflexion sur les matières utilisées doit aussi se faire : le lin, le chanvre ou la laine peuvent être produits localement.
Économiquement, la relocalisation fonctionne. Le groupe Colruyt l’a d’ailleurs bien compris, qui travaille avec des circuits les plus courts possibles au niveau de ses fournisseurs (principalement pour les fruits et légumes) et qui tend à son autonomie énergétique. Même les bénéfices sont « relocalisés », puisqu’ils ne vont ni aux travailleurs ni à la collectivité mais restent bien dans les poches de la famille propriétaire…
C’est donc bien un modèle de développement économique et écologique, et plus largement un modèle sociétal qui sont au cœur du débat sur la relocalisation, et pas seulement la question du maintien de l’une ou l’autre industrie demandeuse de main-d’œuvre (et de rentabilité à deux chiffres).
Pour Le Ressort : Didier Brissa, Virginie Godet, Maximilien Lebur, Laurent Petit, Sylvain Poulenc, Olivier Starquit, Karin Walravens
Cette "carte blanche" a été publiée dans La Libre ce jeudi 29 mars 2012, sous le titre "Vers une relocalisation démocratique" : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/729066/vers-une-relocalisation-democratique.html
Voir en ligne : Vers une relocalisation démocratique
1) Union & Actions, 1er mars 2012.
2) idem 8 mars 2012.
3) 1973 : L’affaire Lip : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lip#1973_:_L.E2.80.99affaire_Lip
Messages
1. De la réindustrialisation à la relocalisation démocratique, 4 avril 2012, 16:26, par Didier Brissa
Vous trouverez ci-dessous une très intéressante réflexion sur les possibles alliances emploi-environnement portée par les métallos de Florange, ouvriers de Fralib ou salariés de Petroplus... qui fait comme un écho pratique à la dernière carte blanche du collectif le Ressort :http://www.bastamag.net/article2261.html