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(Texte refusé par la presse -septembre 2011)

Gênes, le poids des ans, la fin des « alters » ?

"quén’gènes-ti !"

dimanche 27 novembre 2011, par Didier Brissa, Laurent Petit, Maximilien Lebur, Michel Recloux, Olivier Starquit, Yannick Bovy

20 juillet 2001, Italie. Des centaines de milliers de manifestants altermondialistes contestent le G8 à Gênes. La ville est en état de siège, les chefs d’Etats des pays les plus riches de la planète se réunissent derrière des barricades destinées à les protéger d’une colère populaire qui se structure partout dans le monde pour lutter contre les méfaits d’un capitalisme à l’offensive. Silvio Berlusconi décide de faire un exemple. Les forces de l’ordre attaquent brutalement les manifestants. Le bilan sera lourd avec la mort du jeune Carlo Giuliani et des dizaines de blessés graves. Dix ans plus tard, cette répression sanglante reste impunie.

20 juillet 2011, Belgique. L’Europe multiplie les exigences de plans d’austérité destinés à briser un siècle de conquêtes sociales. Pensions, soins de santé, chômage, indexation des salaires… tout doit être dérégulé afin que la loi de la jungle, l’environnement naturel du capitalisme, soit restaurée en Belgique. Devant ces attaques, la réaction est on ne peut plus timide. De grandes déclarations, quelques « promenades » syndicales, la prose habituelle de l’extrême gauche dont le nombre de composantes est proportionnel à son inefficacité politique. Et un mouvement des « Indignés » qui reste embryonnaire.

En Espagne et en Grèce, on peut se réjouir de voir l’émergence d’une mobilisation de précaires qui jusqu’il y a peu n’existaient pas ou peu collectivement mais subissaient individuellement et qui se réapproprient l’espace public et le débat démocratique. Mais on peut craindre un épuisement du mouvement faute de programme et de structuration et un risque de favoriser la montée des droites aux pouvoirs par sa désertion des urnes.

Juillet 2001 - Juillet 2011. En dix ans, le mouvement altermondialiste qui inquiétait les puissants par les perspectives qu’il ouvrait, qui regroupait sur la place publique une myriade d’organisations, des grosses structures syndicales aux comités autogérés, a quasiment disparu.

Comment expliquer cet affadissement des résistances face à des oppressions croissantes ?

Premièrement, les puissants ont tiré des leçons. Une répression généralisée et un exercice de la force systématisé ont réussi à effrayer de nombreux manifestants potentiels. Les médias dominants ont surenchéri en diabolisant le mouvement et en agitant fallacieusement l’épouvantail de la violence. Enfin, et plus en profondeur, on assiste à un recul lent et insidieux de la démocratie par la technocratisation des dossiers et des décisions. On consulte de moins en moins les citoyens sur les sujets fondamentaux. L’exemple le plus visible est la ratification du Traité constitutionnel européen malgré son rejet dès 2005 par plusieurs peuples d’Europe mais les décisions relatives à la gouvernance européenne et au pacte pour l’Euro relèvent du même processus.

Deuxièmement, le mouvement altermondialiste a fait des erreurs. Il a abandonné la rue pour de grands pow wow, les forum sociaux, ne débouchant que sur trop peu de résultats concrets, en particulier dans les pays du Nord et d’Asie. Pire, les expertises et analyses n’ont rapidement plus été le fait que d’une petite partie d’un mouvement qui n’a pas échappé à une forme de technocratisation. L’absence de victoire significative a pesé lourdement dans l’affaiblissement du mouvement. Un nombre significatif « d’alters » se sont tournés vers des expériences locales plus concrètes, se sont impliqués dans des structures existantes ou …sont rentrés chez eux déçus.

Troisièmement, les relais politiques ont failli, complètement. La gauche radicale n’a pas su sortir de ses querelles de bac à sable pour proposer une alternative unitaire crédible. La social-démocratie n’a pas voulu prendre en compte le mouvement et les propositions qu’il portait. L’exemple, pourtant bien modéré, de la taxe Tobin est illustratif. Pire, elle a accompagné, voire organisé les mesures de régression sociale que le mouvement altermondialiste dénonçait et combattait. Elle a ainsi contribué à anéantir les espoirs suscités par un mouvement dont l’objectif était de se faire entendre par le pouvoir et non de le prendre. Cette stratégie n’a jusqu’ici pas prouvé sa validité. Plus largement, les organisations historiques et structurées, perçues souvent comme trop peu combatives, trop complaisantes, ont provoqué un sentiment de méfiance quant à leur rôle réel et à leur capacité à changer les choses.

Dix ans après, plus d’espoir ? Uniquement de la résignation ?

Certainement pas. Le mouvement altermondialiste existe toujours. Ses revendications, ses expertises et tout l’acquis politique, pratique, culturel de ses actions aussi. Seattle, Genes, porto Alegre ont semé. Dix ans, ce n’est encore qu’un très court 21ème siècle. D’autres mondes sont toujours possibles.

Des signes encourageants existent. L’Amérique latine a connu ces dernières années de nombreuses expériences de gauche, toutes ancrées dans des réalités propres mais qui ont en commun une volonté de ne plus se soumettre au diktat du capitalisme international.

Les mouvements populaires d’Afrique du nord, aux débouchés encore incertains, ont rappelé que seuls les mouvements de masse pouvaient faire vaciller le pouvoir. Chez nous, en plus de quelques bastions de résistance, entre autres au niveau syndical, des mouvements comme ceux qui luttent sur les questions de la décroissance, du climat, de fonctionnements démocratiques différents du système représentatif par délégation, des médias alternatifs… se sont affinés et ont gagné en audience et en expérience. Les récents referendums en Italie montrent eux aussi que jamais rien n’est perdu.

Alors quelles pistes ? Privilégier l’éducation populaire et ses pratiques alternatives, les expériences de réappropriation de l’espace public, et surtout rendre ses lettres de noblesse à la politique et au débat démocratique. En redonnant du temps pour le débat et l’échange d’idées. Pour porter cela, une gauche politique défendant un programme de remise en cause radicale du modèle productiviste et capitaliste est nécessaire.

En ce sens, la production actuelle de richesses dans les pays industrialisés, et en Belgique en particulier, permettrait une nouvelle réduction du temps de travail importante créant une réelle rupture. Plus de temps libre pour plus de temps démocratique.

Mais au final, outre une mobilisation puissante qui surviendra le jour où on l’attend le moins, c’est par la mise en place de processus de décisions et de modes de fonctionnement alternatifs permettant de mettre en concordance les paroles et les actes dans l’ensemble des mouvements qui se disent progressistes que l’on pourra commencer à préparer un changement plus profond. À moins que l’on ne préfère attendre une explosion sociale…


Pour le Ressort (http://ressort.domainepublic.net) :
Yannick Bovy, Didier Brissa, Maximilien Lebur, Laurent Petit, Michel Recloux, Olivier Straquit

Messages

  • Assez d’accord avec différents éléments de cet article. Cependant, dire que "le mouvement altermondialiste a quasiment disparu" est une exagération.

    De mon expérience, avant même 2011 et ses indigné-e-s, le nombre de gens qu’on pourrait qualifier de "militants altermondialistes" est en augmentation constante, du moins à Bruxelles, ces dernières années (je n’ai pas non plus dit par rapport à il y a dix ans, je n’étais pas encore assez impliqué à l’époque que pour avoir une cartographie claire du militantisme alter d’alors).

    Ce qui, il me semble, s’est effondré par rapport à il y a dix ans dans le mouvement altermondialiste au sens large (incluant les partis, syndicats, etc.), c’est sa capacité d’organisation, de coordination : chaque association, syndicat, parti reste assez bien dans son coin et ne parvient pas à se coordonner avec les autres (où en est d’ailleurs le Forum social de Belgique ?) ; un nombre plus important de collectifs, petits groupes existent ce qui accroit peut-être les difficultés de se coordonner ; de plus en plus de militants ne sont pas vraiment organisés dans l’un ou l’autre groupe voire, pire, sont contre toute forme d’organisation au point de rejeter les organisations (notamment parmi les indigné-e-s)

    Bref, ce qu’il faut aujourd’hui c’est un regain de cet élément constitutif de l’esprit altermondialiste qu’est l’idée que l’union fait la force du mouvement social, l’union des individus mais aussi l’union des organisations.

    Philippe Santini