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La réduction du temps de travail comme schibboleth

jeudi 3 mai 2007, par Didier Brissa, Eric Jadot, Julien Dohet, Michel Recloux, Olivier Starquit, Pierre Castelain

Pour ceux qui ne le sauraient pas ou plus, la date du 1er mai pour la fête du travail rend en fait hommage aux travailleurs de Chicago condamnés de manière inique pour leur participation à la bataille pour les huit heures en… 1886.

Le temps de travail a longtemps diminué progressivement grâce aux gains de productivité qui ont été largement partagés entre l’amélioration du pouvoir d’achat et le temps libre. Mais depuis 30 ans, ces gains ont été surtout appropriés par les revenus financiers sapant ainsi la légitimité sociale du système économique et partant du prétendu modèle européen tant vanté par la social-démocratie. Une réduction du temps de travail pourrait-elle apporter une réponse à cette nouvelle question sociale et pourrait-elle s’attaquer vigoureusement au chômage par la création d’emplois ?
Si aucun obstacle économique ne s’oppose à cette proposition, force est alors de constater que les objections sont plutôt de nature idéologique.

Dès qu’une proposition de réduction du temps du travail est formulée, elle est soit passée sous silence, voire démolie. Passée sous silence comme une brochure irréfutable de la FGTB Liège-Huy-Waremme , démolie comme le fut la loi sur le passage aux 35 heures en France. Rappelons toutefois que la deuxième loi Aubry est vite revenue sur les possibles avancées et a eu l’effet pervers d’aggraver les conditions de travail des salariés (annualisation du temps de travail, heures supplémentaires non réduites, intensification du volume de travail, effet inférieur sur la création d’emplois) sans amélioration pour les chômeurs.
Par conséquent, la réduction du temps de travail a mauvaise presse et ne séduit pas les travailleurs : l’exemple français tronqué n’est certes guère encourageant. En outre, les réductions du temps de travail individuelles (crédit-temps et autres formules de redistribution du temps de travail) accroissent l’intensité et le stress au travail en l’absence d’embauches compensatoires.
La situation actuelle est donc schématiquement la suivante : certains travailleurs sont surchargés, d’autres bénéficient de mesures individuelles et d’autres encore ont vu leur temps de travail réduit à zéro par leur mise au rebut.
Puisque le monde patronal souhaite un élargissement des plages de travail (soit par les heures supplémentaires, soit par l’augmentation du temps de travail sans compensation salariale), le dernier accord interprofessionnel a facilité encore plus le recours aux heures supplémentaires. Pourtant il n’est pas superflu de rappeler que les heures supplémentaires déclarées représentent entre 270.000 à 300.000 équivalents temps plein.

Tous ces constats nous poussent à penser qu’une revendication d’une réduction du temps de travail substantielle s’avère pertinente et nécessaire.
Devrait-elle être spécifique à certains secteurs (activités non délocalisables) ou universelle pour tous les travailleurs mais avec une approche différente en fonction de la nature de l’employeur et selon la taille de l’entreprise afin de la rendre séduisante notamment pour les petits producteurs ? Doit-elle être portée au niveau européen et/ou via des initiatives locales et sectorielles ?
Pourrait-elle s’accompagner d’un extension des heures d’ouverture dans le domaine des services et du commerce par exemple (semaine des 4 jours mais ouverture 7 jours sur 7) ? Mais : cela aurait-il un effet sur la consommation ? Ce mythe de l’ouverture permanente est-il un progrès ?

Quoi qu’il en soit, la réduction du temps de travail, essentielle pour chaque travailleur pourvu qu’elle crée de l’emploi, devrait devenir la revendication porteuse des partis qui se réclament de la gauche en ce sens qu’elle va au combat frontal avec le capitalisme financier : elle souhaite s’attaquer au volant constitué par l’armée de réserve que sont les chômeurs et elle force le débat sur l’inflation pas nécessairement néfaste pour une économie productive, mais très mauvaise pour une économie financière.
De tout temps, le patronat a toujours prédit des cataclysmes en cas de réduction du temps de travail . On comprend pourquoi : répartir équitablement les gains de productivité, c’est les enlever partiellement au capital. Mais la productivité doit–elle être pour la bourse ou pour le bien-être ?

La réduction du temps de travail comme moyen de « penser le changement plutôt que de changer le pansement », pour citer Pierre Larroutourou, ex-candidat aux élections présidentielles et concepteur d’une approche fiable de la réduction du temps de travail en France [1] ?

La réduction du temps de travail sera-t-elle pour les partis qui se réclament de la gauche le schibboleth, cette épreuve décisive qui permet de juger de leur capacité à prendre parti contre l’adversaire ?


Publié également sur le site d’A voix autre

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