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Bonne gouvernance ou éthique en politique ?
vendredi 13 novembre 2009, par , , , ,
Le vocable bonne gouvernance a récemment fleuri en Belgique francophone pour se retrouver dans les pages de la déclaration gouvernementale de l’Olivier.
Ce vocable débarque dans les affaires politiques dans les années 1990. Décrivant au départ un nouveau mode de gestion des entreprises privées, il va devenir le modèle de la gestion publique.
La notion, et les pratiques qu’il désigne, participe à brouiller la différence entre État et société, entre sphère publique et sphère privée. Il constitue ainsi le signifiant d’une nouvelle façon de gouverner la société, caractérisant par une prise de décision où tout le monde est partenaire de tout le monde.
« Ses autres traits caractéristiques sont une hypertrophie du pouvoir exécutif, la perte de toute substance du travail législatif parlementaire et sa mise en concurrence avec la société civile qui se substitue au peuple souverain. » [1]
La gouvernance vise en fait à « délégitimer les techniques de la démocratie représentative [2] » et représente « le point nodal d’un programme politique conservateur qui concurrence le modèle de l’État-nation basé sur la démocratie représentative afin d’œuvrer à la mise en place d’un nouveau régime politique antagonique à la démocratie » [3].
En somme, notion controversée, « la gouvernance traduit bien la destruction de ce qui impliquait une responsabilité collective, c’est-à-dire la politique. Il ne s’agit plus de politique mais de gestion » [4].
Est-ce vraiment ce qu’Écolo vise lorsqu’il utilise ce terme ? Ne serait-il pas plus judicieux de parler d’éthique en politique au lieu de ce cheval de Troie idéologiquement néolibéral ?
L’éthique requiert de restreindre le cumul des mandats, car la concentration du pouvoir dans une seule main indique que le pouvoir ne se partage pas et que les instruments de contrôle sont absents.
Des mesures en cascade sont et seront prises.
Mais le point aveugle de ces mesures, pour restaurer la confiance entre le citoyen et les institutions, n’est-il pas de refuser d’apporter des changements radicaux à la manière de faire de la politique ? La professionnalisation (et la pénurie de personnel politique) ne participe-t-elle pas à cette évolution néfaste ? La politique est-elle un métier ? [5] Pourquoi le congé politique n’est-il pas élargi au secteur privé ? Pourquoi l’idée de permettre l’exercice d’un mandat politique seulement deux fois de suite (de préférence en l’absence de dérogation), ne pourrait-elle pas être étendue à l’ensemble des partis politiques ?
Dans les faits, qui siège à la Chambre, abstraction faite des professions libérales, des enseignants et des journalistes ? Combien d’ouvriers trouve-t-on au sein de cette enceinte censée être un reflet de la société ? Ceux-ci forment pourtant 37% du salariat [6]. Les conditions d’accès à la représentation politique ne reposent-elles pas sur un cens [7] social caché ? La professionnalisation crée une coupure entre les représentants politiques spécialisés et les autres acteurs sociaux mis dans une position de profanes. La lutte des places, tendant à se substituer à la lutte des classes, coupe les mandataires politiques des revendications des groupes sociaux qui les soutiennent et induit une déconnexion par rapport à la réalité de terrain : ainsi, lors de la suppression des tranches d’imposition au-dessus de 50%, est-il anodin de rappeler que les députés votaient aussi pour eux ?
D’ailleurs, cette professionnalisation entraîne la création de divers outils (asbl, SA) faisant office de parachute en cas de revers électoral. Cela ne concerne pas seulement les intercommunales, actuellement dans l’œil du cyclone. Ces structures publiques ou semi-publiques ont été créées pour faire sortir de l’économie de marché une série de services indispensables à la collectivité. Elles n’ont initialement pas été fondées pour fournir des postes aux hommes et femmes politiques en manque de mandats. Cependant, cette évolution, ainsi que les dérives engendrées par la volonté de certaines intercommunales de se comporter comme n’importe quelle entreprise privée en dépit de leur statut public, sont favorisées par l’absence d’outils de contrôle démocratiques ou leur contournement.
Nous veut-« on » citoyens mais pas trop, et seulement pour approuver ? En somme, la véritable question est de savoir ce que l’on entend par démocratie. Ne faudrait-il renoncer à la démocratie représentative pour lui substituer une démocratie participative ? Mais cette participation démocratique est-elle compatible avec le mode de vie à flux tendus qui nous est imposé et qui empêche réappropriation et réhabilitation de la politique ? La réduction du temps de travail avec maintien des revenus et embauches compensatoires pourrait dans ce cadre s’avérer une piste à suivre. Par opposition aux préceptes de la Commission trilatérale [8] pour laquelle « le fonctionnement efficace d’un système démocratique requiert en général un certain niveau d’apathie de certains individus et groupes [9] » , cette réappropriation impliquerait l’abandon du cocon de la critique au balcon, pour devenir soi-même acteur de son propre devenir collectif.
Si la démocratie est le pouvoir du peuple, ce « pouvoir du peuple est le pouvoir propre à ceux qui n’ont pas plus de titre à gouverner qu’à être gouvernés » [10].
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Une version plus courte a été publiée le 13 novembre 2009 dans La Libre Belgique : la version abrégé de ce nouveau texte du Ressort.
[1] STARQUIT O., L’individu privatisé, le service public pour la démocratie, Bruxelles, Espace de libertés, 2009, pp. 29-30.
[2] ARONDEL Ph., ARONDEL-ROHAUT M., Gouvernance, une démocratie sans le peuple, Paris, Ellipses, 2007, p. 175.
[3] GOBIN C., « Gouvernance », in Les nouveaux mots du pouvoir, un abécédaire critique, DURAND P.(dir.), Bruxelles, Aden, 2007, p. 265.
[4] STENGERS I., Au temps des catastrophes, résister à la barbarie qui vient, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2009, p. 67.
[5] Si elle l’est, les députés ne pourraient-ils percevoir des allocations de chômage à la fin de leur mandat ? Mettant ainsi fin à la polémique sur le montant des indemnités de sortie.
[6] Statistiques de l’ONSS pour le deuxième trimestre 2009.
[7] Montant, quotité d’imposition nécessaire pour être électeur ou éligible, dans un suffrage censitaire.
[8] Organisation privée créée en 1973 regroupant 300 à 400 dirigeants et intellectuels dont le but est de promouvoir et de construire une coopération politique et économique entre l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie Pacifique.
[9] Cité dans HALIMI S., Le grand bond en arrière, Paris, Fayard, 2004, p. 249.
[10] RANCIÈRE J., La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005, p. 54.