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Terrorisme : c’est celui qui dit qui est !
vendredi 1er mai 2009, par , , , , ,
Face à la violence, notre démocratie représentative met en place tout ce qui lui semble nécessaire pour remplir l’une de ses missions, l’un de ses rôles premiers, celui de maintenir l’ordre pour le plus grand bien de tous.
Comment réussir cette gageure en accord avec les souhaits sécuritaires des citoyens, puisqu’à un moment précis, il est impossible de prédire la violence, voire de la contrer sans un minimum de dispositif que d’aucun pourront juger intrusifs.
Jeremy Bentham [1], fin du 18e siècle proposait dans Le panoptique un modèle carcéral ingénieux. Le principe architectural et philosophique était simple : pouvoir à tout moment surveiller les détenus sans être vu grâce à une conception circulaire plaçant les gardiens au centre et les prisonniers en périphérie.
Ce principe voulait donc que même si le gardien ne se trouvait pas à son poste, il était impossible de désobéir ou de se mutiner puisqu’il est supposé être « toujours là ». Le surveillé devient surveillant de sa propre discipline rien que par le fait de l’omniscience du camp adverse.
Ajoutons à ce sujet que si Bentham n’a jamais pu voir son principe appliqué, certaines prisons s’en sont approchées. Bentham a sans doute davantage marqué les esprits par sa philosophie utilitariste, « l’œil du pouvoir » qu’il a théorisé architecturalement. Projet qui décline sa « modernité » entre autres avec la multiplication de la vidéo surveillance. [2]
De ce point de vue, ne pouvons-nous pas, sans grand risque comparer ce système à celui qui gouverne -à défaut de réellement la garantir- notre sécurité ?
En vertu du principe démocratique, l’Etat, détenteur de la violence légitime, et ses trois pouvoirs séparés décide de ce qui est permis ou non : il juge de la criminalisation ou de la récompense de certaines actions. Cet abandon fait par les citoyens de leur pouvoir direct au profit de la représentativité est censé leur apporter sécurité et quiétude.
Est-ce réellement le cas ?
Peut être pas, car trop soucieux de prévenir les risques inhérents à la souveraineté populaire, l’Etat, n’a eu de cesse d’en limiter la portée. Pour comprendre et illustrer cette supposition, nous devons remonter au temps de la Révolution Française. En réaction à la conception jacobine de la démocratie, illustrée par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen en 1793 dont le 35e et dernier article disait : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs la réaction thermidorienne qualifiera la période de « Terreur », disqualifiant ainsi les avancées afin de mieux pouvoir les supprimer.
L’article 34 de ce même texte, nous dit : Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
La cruelle actualité et la résonance de ce dernier paragraphe sont terribles au regard des violences que représentent les centres fermés, envers le peu de considération que nous avons pour nos frères humains lorsqu’ils sont nos voisins… sans papiers. Pourtant nous devrions être solidaires et faire éclater cette oppression.
Que dire de la violence étatique exercée lors de certaines manifestations, souvenons-nous pour exemple des grèves étudiantes fin des années 1990 et de cette répression magistrale qui a eu lieu en cité ardente. Intervention musclée justifiée par une déviation du circuit prévu…
On peut donc légitimement s’interroger sur l’oubli, voire l’occultation de la version de 1793 de la déclaration des droits de l’Homme. Or, le radicalisme –auquel nous donnons la définition suivante : « il s’agit d’une attitude intellectuelle consistant à reprendre les questions à partir du commencement, à leur racine »- est extrêmement peu toléré puisqu’on lui préfère la définition connotée suivante « visant une attitude intransigeante et exigeant la réforme des institutions ». C’est d’ailleurs sur base du souhait de pouvoir manifester une « opposition radicale » à la construction néolibérale de l’U.E. que l’Etat belge, à travers ses avocats, juge pouvoir incriminer d’association de malfaiteurs les auteurs de ce souhait… [3]
Nous en revenons donc à la guerre des mots [4]. Et nous n’en sortons pas lorsque le cheminement nous fait, bien entendu, rebondir sur la notion de « terrorisme » et sur la loi relative à ce type d’infractions (loi du 19 décembre 2003).
Admettons que, par bien des aspects, ce que d’aucuns appellent « le terrorisme » pourrait être dans un certain nombre de cas, une fois les éléments constitutifs de la loi étudiés, le fait d’appliquer ou de tenter de réaliser cet article 35 de la DDH de 1793.
Justifions-nous donc la violence ? Prenons-nous donc la peine d’écrire ces lignes pour le plaisir de nous déclarer publiquement insurgés ? Cela n’aurait aucun sens au « propre », mais davantage au sens philosophique du terme. En effet, comment ne pas s’insurger intellectuellement de la mise sur écoute attentive et sans balises claires de citoyens engagés dans des mouvements politiques, pacifistes (oui, vous lisez bien), écologistes, philosophiques, militants, …
Sont-ils donc si dangereux ? Si tel était le cas, et même si la violence est le levier de l’histoire, la société serait sans cesse en ébullition et en proie à des convulsions impulsées par ces changements violents…
Une affaire de mots, disions-nous ? Selon le principe récréationesque « c’est celui qui le dit, qui l’est ! », accuser quelqu’un de terrorisme est obligatoirement et définitivement disqualifier son combat ou ses idées : « le terroriste est un vaincu potentiel et toujours hors-droit » [5]. Le train de valeurs qui accompagnent ce mot évoque les attentats du 11 septembre ou les bombes posées dans les métros londoniens ou ailleurs.
A tel point, -et bien que la présomption d’innocence soit censée prévaloir dans notre pays jusqu’à preuve du contraire-, que cette simple assertion prive cette personne ou cette organisation d’une grande partie des soutiens associatifs ou individuels qui auraient pu être les siens. Mais également aujourd’hui, par les législations d’exception prises dans la foulée du 11 septembre, cette assertion restreint ou prive le suspect d’un certain nombre de droits de la défense (délai de garde-à-vue, accès au dossier, incrimination par association, etc.). La peur, la force du mot est suffisante pour infliger les marques d’isolement.
Et cette violence a priori, puisque c’est de ça qu’il s’agit, nous permet de nous attarder à présent sur des manifestations non physiques ou non tangibles de la violence et de nous interroger sur le juste retour de légitime défense en cette matière. Car il est pertinent de rappeler que c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte.
Le harcèlement moral au travail, la « mise au placard », le plafond de verre, l’inégalité des rémunérations entre hommes et femmes pour un travail égal, la flexibilité, l’exigence de rendement maximal, et autres… sont autant de facteurs de stress et de mal être qui pèsent sur les travailleurs et les travailleuses. Cette violence parfois diffuse, sans nom ou sans visage : comment s’en préserver ? Comment y réagir selon les principes de la légitime défense ou de la réponse proportionnée ?
D’une manière plus générale, la globalisation, la crise économique, les systèmes économiques et de productions orientés vers la maximisation des profits au mépris de celui ou celle qui concourt à les réaliser, sont autant de zones d’incertitudes, de sources de violences et de pression sur le travailleur ou la travailleuse.
A-t-on pensé à la possibilité de s’insurger face à ces formes de violences que nous connaissons tous à différentes étapes de notre vie ?
Demandons-nous, ce qui différencie le résistant du bourreau, si ce n’est l’élément moral qui découle de l’objectif poursuivi. Pourrons-nous toujours rester pacifistes, serons-nous un jour bourreau ou résistant et aux yeux de qui ?
Aurons-nous le courage de nous opposer sans mot dire, sans armes et sans haine, par notre seule présence comme le gandhisme le préconise ? Cette posture n’est–elle pas non plus rendue possible que par l’aiguillon exercé par d’autres attitudes plus virulentes ? Opterons-nous pour les armes de la critique ou pour la critique des armes ? Pourrons-nous nous laisser massacrer si les heures devenaient sombres en notre pays opulent et paisible et que nous ne puissions nous réfugier ailleurs que dans des prisons gardées avant expulsion ?
Dès lors, il paraît nécessaire et urgent de rétablir un bien être physique et moral suffisant, en prenant en compte, au pied de la lettre et par la pratique, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’ONU, en traitant chacun, chacune comme un être humain qui a le droit de vivre où il le souhaite et de militer pour les causes qu’il croit justes. C’est le mépris qui entraîne la violence du peuple et le déclin de sa confiance en l’Etat. C’est l’oppression sous toutes ses formes qui alimente l’insurrection qui vient… [6]
Voir aussi le n° 59 de Politique intitulé "Combattre le terrorisme ?"
[1] Jeremy Bentham, Panoptique, traduit par Christian Laval, Editions Mille et une nuits, 2002)
[3] Voir : www.missurecoute.be
[4] Texte du Ressort : Les mots détournés, outil de propagande in La Libre Belgique du 21 avril 2008, p.28 et La guerre des mots in les Cahiers de la réconciliation (MIR-France), décembre 2008, pp.22-26.
[5] Sophie Wahnich, La liberté ou la mort, essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, La Fabrique, 2003, p.97, http://www.lafabrique.fr/IMG/pdf/La_liberte_ou_la_mort.pdf
[6] Le Comité invisible « L’insurrection qui vient… » Paris, La Fabrique, 2007, p.128 http://www.lafabrique.fr/IMG/pdf_Insurrection.pdf