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Il en va de la « crise » du logement comme de la « crise » économique

mercredi 24 septembre 2008, par Didier Brissa, Isabelle Chevalier, Julien Dohet, Michel Recloux, Olivier Starquit

L’actualité de la fin du mois d’août fut notamment marquée sur le plan socio-économique par l’annonce d’une crise du secteur immobilier. Il est intéressant de noter que derrière les titres alarmistes se cachaient finalement le constat que les prix ne flambaient plus mais semblaient se stabiliser. Comme pour le discours sur la croissance économique, on assiste donc à l’utilisation de terme faisant penser à une récession alors qu’il s’agit simplement d’un ralentissement.

Car si aujourd’hui il y a un problème au niveau du prix des logements, il s’agit – sauf pour les plus fortunés ayant les moyens de spéculer – surtout d’un problème d’accès devant des prix ayant doublé, voire triplé, en quelques années tandis que les salaires restaient bloqués. Cette situation a entraîné une explosion de l’écart entre les moyens financiers des gens et le prix de l’immobilier. Plus que de s’étonner de la baisse du rythme de la hausse, on peut s’étonner de l’absence d’effondrement du marché immobilier. Celui-ci ne tenant en fait que grâce aux possibilités de crédit et à l’incitation à l’endettement qui peut maintenant se faire sur des périodes de plus en plus longues, y compris sur la génération suivante ! Afin d’éviter un endettement croissant et face à une demande dépassant largement l’offre, il est légitime de revendiquer un rôle accru du secteur public en terme de relance de la construction et de la rénovation. Une telle approche se révèlerait peut-être plus probante que les nombreux plans d’emplois, dont il est permis de douter de l’efficacité.

Le constat peut être vaste et mériterait des détails. Mais force est de constater que se loger devient de plus en plus difficile. Que ce soit en louant comme en achetant, en faisant construire ou en rénovant [1] , tous les coûts ont explosé pour se couper totalement des réalités salariales et sociales dans un pays où, on ne le rappellera jamais assez, 17% de la population vit avec moins de 822 € pour un isolé et 1726 pour un ménage. Face à cette situation du logement privé, le logement social public ne peut répondre à la demande, sans parler ici de son état de délabrement parfois dramatique. Enfin, la situation étant tellement criante et visible, les médias ne peuvent passer sous silence le phénomène de plus en plus répandu de « taudification » de certains quartiers, d’habitats dans les campings, et même des marchands de sommeil qui profitent de la situation de détresse des sans-papiers ou des plus pauvres harcelés par des mesures étatiques s’attaquant aux conséquences et non aux causes.

Parler logement, nous en sommes conscients, c’est aussi parler de la notion plus large mais trop souvent négligée de l’habitat. Aujourd’hui, à un moment où le concept de décroissance doit être pris au sérieux, il faut casser le mythe de la maison quatre façades pour tous [2] . Il faut aussi avoir le courage de dénoncer et de stopper le phénomène de la rurbanisation (départ des citadins vers la campagne) et dire à ceux qui choisissent cette voie qu’ils ne peuvent avoir la même densité et la même offre de service public. La rénovation des friches industrielles, la mixité sociale, la réflexion globale sur la mobilité et l’accès aux services publics, le danger de la gentrification ("embourgeoisement" et donc augmentation du prix des logements) de certains quartiers populaires… tous thèmes qui mériteraient de longs développements et qui doivent être pris en compte.

Le constat est donc multiple, souvent énoncé voire même dénoncé. Qu’en est-il alors des pistes de solutions ?
Il y a tout d’abord celles qui existent mais qui sont souvent inutilisées ou mal ciblées. Les immobilières sociales, des agences qui agissent comme intermédiaires entre des propriétaires et des publics défavorisés locataires et se portent garantes du paiement des loyers et du maintien en l’état du logement, sont des solutions à moyen terme.
Il existe aussi une « loi Onckelinx » sur la réquisition des biens inoccupés dont la réalité peine à lutter contre le caractère sacralisé de la propriété privée dans notre société capitaliste. Cette loi pose aussi problème aux villes et communes, ayant elles-mêmes des immeubles inoccupés et qu’elles ne mettent pas sur le marché immobilier. Il y a là un angle d’attaque qui pose question. Ainsi des taxes communales ou du revenu cadastral qui pourraient être fixés sur bases du montant du loyer. Le logement social reste au cœur des solutions mais nécessiterait une réflexion globale pouvant intégrer la formation par le travail, l’utilisation de nouvelles technologies respectueuses de l’environnement mais qui permettent également des réductions de coût profitables aux locataires ainsi doublement gagnants. Il s’agit dans ce cadre, notamment lors de rénovation, d’accompagner socialement les personnes. Et de poser la question de l’évolution du logement au fil de la vie des personnes via par exemple des logements modulables [3] . Qui ne pose pas que des questions pratiques mais aussi psychologiques, comment faire déménager, sans que ça ne soit un drame, une vieille personne qui a vécu toute sa vie dans une habitation pour cinq personnes à un logement pour elle-seule ?
Une régulation stricte des prix est bien entendu nécessaire. On constate ainsi trop souvent que des projets de réhabilitation urbaine entraînent une spéculation immobilière. Pourquoi ne pas bloquer les prix au niveau du marché d’avant travaux ? Plus largement, le débat autour du pouvoir d’achat est l’occasion de rappeler que le logement et le loyer à payer pour celui-ci ne sont pas représentés à leur proportion réelle dans l’index. De même le contrôle des prix des loyers devrait se faire sur base de l’inflation et en lien direct avec les augmentations – ou le blocage – des salaires. Régulation, service public… la relance du procès lié au tunnel de Cointe illustre parfaitement des pratiques inacceptables des différents entrepreneurs de travaux publics qui s’arrangent pour, soit se distribuer les marchés, soit surfacturer. Seule une régie publique de travaux civils pourrait résoudre cette dérive.

En conclusion, il s’agit de réaffirmer qu’il ne peut y avoir de solution sans contrôle du public, que ce contrôle soit effectué directement ou via un système de régulation, mais aussi par la mise en place de politiques coordonnées qui ne peuvent s’appliquer dans la temporalité politique actuelle. Pour terminer par où nous commencions, il s’agit donc de faire une politique des besoins des citoyens et non des besoins du marché de l’immobilier.


Cet article a été publié dans la Libre Belgique du 24 septembre 2008


[1Signalons l’hypocrisie du discours autour des primes qui ne servent qu’à ceux qui ont déjà des moyens et sont des sommes ridicules au vu des dépenses qu’elles nécessitent.

[2Même l’Europe demande une législation plus contraignante sur l’achat de terrains à bâtir pour freiner l’urbanisation des campagnes.

[3L’idée est tout sauf farfelue, Jean-Baptiste Godin l’ayant appliqué dès la moitié du 19e siècle dans son « palais social » de Guise