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Faire front contre le capitalisme / Faire front contre le libéralisme économique

dimanche 18 mai 2008, par Didier Brissa, Julien Dohet, Michel Recloux, Olivier Starquit

carte blanche du Soir

Carte blanche du Soir (30/04/2008) :

Premier mai : faire front contre le libéralisme économique

La crise financière déclenchée en août 2007 est peut-être cette fois plus qu’une crise cyclique. Cela rend dérisoires les appels adressés périodiquement à la gauche par les bons apôtres du libéralisme, une gauche qui devrait se "moderniser" et abandonner ses "vieux principes", ses valeurs et ses "bagages idéologiques".

Pendant ce temps, seule l’intervention massive des banques centrales a sauvé le système bancaire privé d’une panique généralisée, dans un contexte de spéculation insensée, qu’illustre, après tant d’autres, le scandale de la Société Générale. Des "Fonds souverains" étatiques entrent dans le jeu.

Assistons-nous à autre chose qu’à une des formes sophistiquées de la socialisation des pertes ? La récession vient-elle ?
Dans l’opération "Artisans du progrès" lancée par le PS, un groupe s’est assigné pour thème : "Quelle gauche pour le vingt et unième siècle ?"

C’est précisément la question centrale. Les clubs permanents de réflexion que les signataires souhaitent initier, dans un esprit dépourvu de sectarisme, peuvent alimenter ce débat, et jeter un pont entre "l’utopie" et la réalité de ce monde-casino.

La gauche politique doit retrouver sa boussole : une expression autonome, une pédagogie propre, et ce, qu’elle soit engagée ou non dans une participation gouvernementale.
Articuler des valeurs telles qu’égalité et solidarité avec le réel d’un capitalisme sauvage, tel est le défi.
"L’économie sociale de marché" a été un leurre. Le marché n’est pas social. La voie à suivre par la gauche n’est pas celle de Blair et de Schröder. En Allemagne d’ailleurs, le SPD réhabilite la notion de "socialisme démocratique".

Face aux nouveaux défis, comme la dégradation climatique, comme l’aggravation des inégalités, la social-démocratie, qui répartissait plus justement les fruits de la croissance, a atteint ses limites et livré des batailles d’arrière-garde. On ne pouvait casser le monopole des services publics sans les livrer aux lois de la jungle du marché, et donc sans les dénaturer. On ne peut " faire du social" sans prise sur l’économie. Et c’est précisément la dictature opaque des marchés, et celle des technostructures à leur service, hors du champ de la démocratie nationale et hors de portée du monde politique, qui nourrit le découragement et l’apathie du plus grand nombre, le repli universel "tribal" sur l’identité, la "communauté", les utopies réactionnaires. Cela peut ouvrir un boulevard à la droite extrême.
Il faut remettre l’économie politique au centre du débat politique, car l’économie, au contraire de ce que veulent nous faire croire les libéraux, n’est pas une science exacte avec des lois naturelles …

Les trous noirs de la haute finance, la liberté d’action des fonds spéculatifs, le libre jeu des OPA, l’indépendance des banquiers centraux, l’existence des paradis fiscaux, les profits à deux chiffres, l’inégalité indécente des rémunérations, rien de tout cela n’est tabou.

La crise financière actuelle ne se réglera pas avec de petites mesures de régulation timidement avancées par l’un ou l’autre chef d’État, tétanisé par l’accusation de dirigisme.
La gauche doit aussi régler ses comptes avec l’Histoire : les tragiques expériences de l’URSS et de la Chine, entreprises dans les pires conditions et dans des sociétés arriérées, ce n’était pas le socialisme ! Ce n’est pas par hasard si elles ont fini par virer vers le capitalisme sauvage.

L’apparition du mouvement altermondialiste à la fin des années nonante a été la juste réplique à la mondialisation par l’argent. Mais cette internationale a aussi besoin de s’articuler sur la gauche historique.

Un autre monde est possible, radicalement autre.

Entre la réalité et l’utopie, il y aura toujours place pour l’espérance et la volonté !

Gregor Chapelle, militant, Échevin à Forest ;
Monique Discalcius , militante, journaliste honoraire ;
Robert Falony , militant, journaliste honoraire ;
François Martou , militant, professeur émérite à l’UCL, ex-président du MOC ;
Michel Overloop , militant.

Réaction du Ressort

Faire front contre le capitalisme

Dans Le Soir du 30 avril 2008, cinq personnes se présentant comme « militants » – sans préciser, alors qu’il n’y a rien là de honteux, qu’ils le sont au sein du Parti socialiste, élément compréhensible à la lecture du texte et facilement vérifiable - signent une carte blanche où ils dénoncent à juste titre l’emprise de l’économie, dont ils rappellent qu’elle n’est pas une science exacte, sur le politique. Ils plaident ainsi au début de leur article pour que la gauche politique retrouve sa boussole : une expression autonome, une pédagogie propre. Cette nécessité que nous partageons, nous la soulignons depuis plus d’un an dans des textes qui insistent notamment sur l’importance de reconquérir l’imaginaire culturel [1]. Nous avions ainsi participé, comme Gregor Chapelle, au débat dans le numéro 50 de la revue Politique sur "La gauche peut-elle encore changer la société ?"

Nous aimerions plus particulièrement rebondir sur deux aspects qui nous paraissent caractéristiques de l’impasse dans laquelle se retrouve aujourd’hui la social-démocratie et que ce texte, après le n°50 de Politique, souligne à nouveau [2] . Le premier est l’adéquation entre les idées et les actes. Les cinq militants qui cosignent la carte blanche doivent se trouver dans une situation bien schizophrénique entre leurs désir, dont la sincérité ne fait aucun doute, de participer aux « artisans du progrès » pour repenser la gauche du vingt et unième siècle et la participation à un parti qui change le minimex en revenu d’insertion, qui pratique la chasse aux chômeurs plutôt qu’aux fraudeurs fiscaux, qui au lieu de régulariser les sans-papiers leur envoie les forces de l’ordre dans une opération indigne d’une démocratie, qui accepte que les bénéfices des entreprises ne participent pas à la solidarité grâce aux intérêts notionnels, qui privatise les services publics… Bref, d’un parti qui lors de ce premier mai 2008 s’affichait comme le « parti solidaire » alors qu’on lui demande simplement d’être un « parti socialiste ». Cela ne serait déjà pas si mal.

La deuxième, qui nous semble vraiment être le nœud du problème est que si l’on admet comme les auteurs que « « l’économie sociale de marché » a été un leurre » on se demande bien comment on pourrait répondre au paragraphe précédent disant que le défi est d’« articuler des valeurs telles qu’égalité et solidarité avec le réel d’un capitalisme sauvage » ? On se trouve là clairement devant les limites de la social démocratie et l’absurdité complète d’une réflexion et d’un positionnement qui se refusent à tirer les conséquences du reste de son analyse que, répétons-le, nous partageons. Car ce n’est pas d’espérance et de volonté entre la réalité et l’utopie qu’il faut, mais la création d’un rapport de force via un positionnement clair afin de modifier la réalité et mettre en avant, développer et enfin concrétiser les utopies. Ces utopies dont nous manquons cruellement aujourd’hui et qui permettent d’imaginer et d’affirmer que d’autres mondes sont possibles. Ces utopies d’aujourd’hui qui sont les réalités possibles de demain. Ces utopies qui nous donnent des perspectives et qui ne sont pas un paradis inaccessible mais au contraire dont des étapes peuvent (doivent) se concrétiser. Nous ne reprendrons ici qu’une des dix pistes que nous évoquions dans Politique. Et puisque le prétexte du texte auquel nous réagissons était le premier mai, rappelons que celui-ci était porteur d’une utopie : celle de dire, à la fin du 19e siècle alors que la moyenne était entre 10 et 12 heures de travail effectif journalier, qu’il était envisageable de ne travailler que 8 heures par jour et ce via un mouvement de revendication internationale. Et aujourd’hui encore, la réduction du temps de travail apparaît comme une solution de solidarité et de redistribution des richesses [3]. Mais, à nouveau, où est le PS sur cette question ?

Nous conclurons en disant que le seul espoir pour demain est de construire un monde sur de nouvelles bases dépolluées du discours et de la pensée adverse. Qu’il s’agit aujourd’hui pour la gauche, si elle pense réellement « qu’un autre monde est possible, radicalement autre », de ne plus se limiter à un réalisme imposé, mais au contraire d’oser les utopies sur une base qui ne peut qu’être anticapitaliste. Car pour reprendre les mots de Christian Arnsperge : « nominalement, on peut effectivement être de gauche sans développer une critique radicale du capitalisme. Dire le contraire serait contredire les faits de notre vie politique de tous les jours. Une autre chose est de savoir s’il est cohérent de se dire de gauche et de ne pas être anticapitaliste. Là je suis nettement plus sceptique. L’anticapitalisme est la racine même de la gauche » [4].


Réaction à "Premier mai : faire front contre le libéralisme économique" : carte blanche publiée dans le Soir signé par des militants (PS) : Gregor Chapelle, militant, Échevin à Forest ; Monique Discalcius , militante, journaliste honoraire ; Robert Falony , militant, journaliste honoraire ; François Martou , militant, professeur émérite à l’UCL, ex-président du MOC ; Michel Overloop , militant.

Soir : ici

Sur le site du PS :


[2Julien Dohet, Après deux numéros spéciaux de Politique : En avant vers les Etats généraux de la gauche in Politique n°51 d’octobre 2007, pp.62-63

[4L’avenir de la gauche. S’arracher à l’emprise de la gauche pro-capitaliste. Entretien avec Christian Arnsperger in Démocratie n°21 du 1er novembre 2007, p.6