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Une initiative publique indispensable (II)

Dans la revue "Politique" n°53, février 2008

vendredi 1er février 2008, par Christian Jonet, Didier Brissa, Eric Jadot, Julien Dohet, Laurent Petit, Michel Recloux, Olivier Starquit, Pierre Eyben, Yannick Bovy

Le discours dominant dénigre l’utilité de l’État en qualité d’acteur économique, notamment en matière énergétique. Pourtant, en de nombreuses occasions, l’initiative publique permettait un fonctionnement du secteur plus profitable au citoyen.

Au seuil du 21ème siècle, un enjeu politique essentiel se présente à nous :
la manière dont seront gérées la production et la distribution de l’énergie alors que par la libéralisation, les choix politiques ont supprimé le contrôle citoyen.

Des initiatives publiques telles que des propositions politiques visant à la création de sociétés publiques d’achat ont également vu le jour. La Région Wallonne propose aussi des primes dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique . Il est toutefois légitime de se demander si ces primes ne constituent pas un financement public d’initiatives privées et un effet d’aubaine à la clé puisque la collectivité subventionne ceux qui ont déjà la capacité d’investir. Ces pratiques traduisent en outre le refus d’une rupture avec un mode de production dont l’encouragement à la consommation est le principal ressort et ne constituent d’aucune manière une réforme de structure.

Cette timidité sur le plan des initiatives publiques peut partiellement s’expliquer par la doxa et la force du tabou qui, par la pollution des esprits, condamne d’office toute intervention des pouvoirs publics. « Pour entreprendre de changer les rapports sociaux, il faut précisément se libérer de l’emprise de l’idéologie dominante qui nie que ce changement soit possible » [1] . Et pourtant, ce ne sont pas les pistes qui manquent (sans nécessairement devoir s’inspirer d’exemples étrangers, quoique !) [2]

Ainsi, face aux nombreuses demandes d’éoliennes, quelques communes envisagent de s’unir pour en installer le long de l’autoroute E40 .
Si aucun projet n’est encore officiellement déposé, elles ont décidé de ne pas se laisser faire face aux géants. L’idée serait de créer une intercommunale qui pourrait elle-même devenir productrice d’électricité verte.

En outre, le Ministère de l’Equipement et des Transports, propriétaire, notamment, des espaces autour des bretelles d’autoroute, pourrait y installer des capteurs photovoltaïques et pourrait par conséquent également produire pour la Région Wallonne de l’énergie renouvelable.

Par ailleurs , dans l’hypothèse du report de la sortie du nucléaire et à défaut d’une nationalisation, ne serait-il pas envisageable pour les pouvoirs publics d’utiliser les bénéfices issus de l’amortissement des centrales pour lancer d’une part un vaste programme d’isolation des habitations et pour se lancer eux-mêmes à corps perdu dans la production d’énergies renouvelables ?

D’autres outils, certes méconnus, existent comme les programmes PALME, UREBA et EPURE qui aident techniquement et financièrement les communes soucieuses de développer l’URE [3].

Ainsi, au-delà de l’efficacité énergétique de ses bâtiments, la commune peut aussi produire de l’énergie verte, conseiller ses habitants, intervenir en tant que tiers-investisseur et inciter ainsi les citoyens à se réapproprier la production.

Dans le domaine de la distribution, il serait certes préférable de disposer d’un seul gestionnaire public de distribution. Cette mesure permettrait de rétablir la péréquation tarifaire [4] . A défaut, « on pourrait demander aux 13 gestionnaires de distribution wallons de pratiquer un seul et même prix. On ne le fait pas » [5] .

Ces pistes lèvent le tabou en Belgique du producteur public d’énergie (car rappelons que Nuon [6] compte parmi ses actionnaires principaux la ville d’Amsterdam et des provinces hollandaises) [7] et soulignent également l’importance de la réappropriation citoyenne de la production.

Elles induisent également la conclusion provisoire selon laquelle ce n’est pas en continuant la fuite en avant dans une production énergétique toujours croissante qu’on répondra aux défis actuels : il faut coupler une réduction drastique de la demande à un basculement vers un système énergétique décentralisé individuel et collectif [8] (que permettent notamment les capteurs solaires).


Cette version a été publiée dans la Revue Politique . Voir aussi la version publiée dans l’Echo le samedi 15/12/2007 : lien vers l’article


[1André Gorz, « Réforme et révolution » Paris, Le Seuil, 1969, p.12

[2Nous pensons notamment au vent nouveau qui traverse l’Amérique du Sud à ce sujet : nationalisations et réappropriations face aux géants mondiaux

[3Utilisation rationnelle de l’énergie. Eric Van Poelvoorde « Une politique durable de l’énergie au niveau communal : outil pour un développement durable », revue Etopia analyse 2005/21, 17/09/2005

[4Principe selon lequel les frais liés à la fourniture étaient mutualisés : la personne habitant loin d’une centrale électrique payait le même prix que le voisin d’une centrale.

[5« Libéralisation de l’électricité » interview de Jean-Claude Galler (secrétaire fédéral CGSP Gazelco), Le Drapeau rouge n°16, septembre 2007

[6fournisseur d’électricité et de gaz

[7Ce qui au demeurant ne l’empêche pas en Belgique d’avoir des techniques de marketing et de ventes particulièrement agressives et peu respectueuses des gens comme des travailleurs.

[8Les communes pourraient ainsi devenir productrices : citons l’exemple de Couvin et de son parc à éoliennes